Pas de demi-mesure : en France, démontrer une discrimination, c’est cocher trois cases précises, pointées du doigt par le Code du travail et la jurisprudence. Inutile d’invoquer la mauvaise foi ou l’intention cachée de l’employeur ; la sanction tombe dès qu’un écart de traitement repose sur un motif interdit par la loi. Pourtant, certaines différences, comme celles dictées par une nécessité professionnelle avérée, échappent à cette qualification.
Devant le Conseil de prud’hommes, trois questions reviennent systématiquement : les faits sont-ils établis ? Existe-t-il une comparaison entre les personnes concernées ? Le traitement inégal s’appuie-t-il sur un critère protégé ? Le salarié n’a pas à tout prouver, mais bénéficie d’un allègement de la charge de la preuve. Cela ne garantit pas, pour autant, que la discrimination soit reconnue d’office.
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Comprendre la discrimination au travail : enjeux et réalités
La discrimination au travail va bien au-delà du sentiment d’injustice : elle s’inscrit dans une définition légale stricte, issue du Code du travail et du Code pénal. Pour qu’il y ait discrimination, trois éléments doivent être réunis. Il faut d’abord s’intéresser à la situation : une embauche refusée, une évolution professionnelle freinée, une différence de salaire, ou même une rupture de contrat de travail. Ensuite, le motif : la loi protège plus de vingt critères, de l’origine à l’état de santé, en passant par l’orientation sexuelle ou la conviction religieuse. Enfin, le lien : le traitement défavorable doit être directement ou indirectement lié à l’un de ces critères.
Discrimination directe : un salarié privé de promotion à cause de son âge. Discrimination indirecte : une règle de mobilité géographique, a priori neutre, mais qui désavantage certains groupes. Plus insidieuse encore, la discrimination systémique : des habitudes ou pratiques qui, sans être formalisées, creusent des inégalités persistantes entre catégories de salariés. Parfois, plusieurs critères se cumulent et aggravent la situation de la personne concernée.
Un salarié qui se sent discriminé n’est pas sans recours face à l’employeur. Le droit français lui permet de présenter des éléments laissant supposer l’existence d’une discrimination ; à l’employeur de justifier ses choix et d’en prouver la légitimité. Ici, la question n’est plus celle de l’intention, mais de la justification des décisions prises. Si la situation est portée devant la justice, de l’initiative de la victime, d’un syndicat ou d’une association,, les juges se penchent sur la réalité des faits et des différences de traitement, qu’elles soient explicites ou plus diffusément ancrées.
Quels sont les critères et formes de discrimination reconnus par la loi ?
Le nombre de critères de discrimination inscrits dans la loi ne cesse de s’étendre. Aujourd’hui, rares sont les motifs laissés de côté : l’origine, le sexe, l’âge, mais aussi l’apparence physique, le nom de famille, la grossesse, l’état de santé ou le handicap. On retrouve aussi la vulnérabilité économique ou la maîtrise d’une autre langue. Les opinions politiques, l’exercice d’un mandat électif, l’appartenance syndicale ou la qualité de lanceur d’alerte sont explicitement protégés.
Voici les principaux critères explicitement reconnus, qui balisent le terrain pour repérer toute forme de discrimination :
- Origine, sexe, âge
- Apparence physique, patronyme, grossesse
- État de santé, handicap, caractéristiques génétiques
- Mœurs, orientation sexuelle, identité de genre
- Situation de famille, opinions politiques
- Activités syndicales, exercice d’un mandat électif
- Vulnérabilité économique, lieu de résidence
- Capacité à s’exprimer dans une autre langue
- Qualité de lanceur d’alerte
- Appartenance supposée à une ethnie, une nation ou une race
Avec la loi du 27 mai 2008, la notion de discrimination indirecte a gagné en visibilité. Il ne suffit plus d’identifier une inégalité manifeste : même des pratiques neutres en apparence, qui défavorisent certains groupes, sont désormais prises en compte par le juge. La discrimination directe continue d’exister, lorsqu’une personne est traitée différemment en raison d’un critère interdit. La loi Égalité Citoyenneté a, de son côté, imposé aux employeurs une formation à la non-discrimination lors du recrutement, signal d’une attention accrue portée à ces questions.
L’ensemble de ces critères s’applique à chaque étape du contrat de travail : de l’embauche à la promotion, de la mutation au licenciement. Dès lors qu’une différence de traitement intervient, l’employeur doit toujours être en mesure d’en expliquer la raison, sans jamais s’appuyer sur un des motifs interdits.
Exemples concrets de discriminations rencontrées en entreprise
Dans les faits, la discrimination en entreprise revêt mille visages. Elle frappe lors du recrutement, freine une évolution de carrière, accompagne parfois la fin d’un contrat de travail. Des situations concrètes s’imposent : un candidat à l’embauche écarté à cause d’un nom à consonance étrangère ; une salariée dont la grossesse devient brusquement un motif d’exclusion pour une promotion ; un collaborateur en situation de handicap à qui l’on refuse l’aménagement nécessaire de son poste. Ces faits se répètent, malgré l’arsenal juridique existant.
Le licenciement discriminatoire illustre particulièrement la gravité de ces actes. Lorsqu’un salarié en est victime, il peut obtenir sa réintégration ou, si ce n’est pas possible, une indemnisation spécifique. La jurisprudence ne laisse aucune place au doute : un licenciement fondé sur un critère prohibé est frappé de nullité. France Travail, dans ces cas, peut réclamer à l’employeur le remboursement des indemnités versées au salarié.
La discrimination ne s’arrête pas à l’embauche ou au licenciement. D’autres moments du parcours professionnel sont concernés : promotion, mutation, accès à une formation. Certains voient leur progression freinée, leur rémunération bloquée, leur mobilité restreinte, sans justification valable, mais en raison d’un critère protégé par la loi. L’employeur doit pouvoir expliquer, point par point, chaque choix ou distinction, sous peine de sanctions civiles.
Quelques exemples, parmi les plus fréquemment observés en entreprise, montrent la diversité des situations pouvant relever d’une discrimination :
- Refus de stage pour motif d’origine ou d’apparence
- Non-renouvellement de CDD lié à une grossesse
- Écart salarial persistant entre hommes et femmes à poste égal
La plupart du temps, la discrimination s’inscrit dans des logiques collectives, parfois invisibles à première vue, mais qui finissent par peser lourdement sur la vie professionnelle et le climat au sein des équipes.
Lois, recours et protections : ce que prévoit le droit français pour les salariés
Pour contrer la discrimination au travail, la législation française a bâti un cadre robuste. Le Code du travail et le Code pénal définissent strictement ce qui est interdit, qu’il s’agisse de discrimination directe ou indirecte. Le Défenseur des droits joue un rôle central dans le traitement des signalements et accompagne tout salarié ou candidat qui en fait la demande. Les organisations syndicales et associations disposent également de la capacité d’agir devant les tribunaux, y compris par le biais de l’action de groupe depuis la loi du 18 novembre 2016.
Pour les litiges individuels, le conseil de prud’hommes reste la juridiction compétente. Si une infraction pénale est suspectée, le procureur de la République peut être saisi. L’inspection du travail veille au respect du principe de non-discrimination, constate les manquements et en informe les autorités.
La question de la preuve obéit à des règles particulières : le salarié doit apporter des éléments laissant supposer une discrimination, puis c’est à l’employeur de démontrer que ses décisions reposent sur des motifs objectifs, sans lien avec un critère prohibé. Le juge peut faire appel à diverses mesures d’instruction pour établir les faits. La jurisprudence, qu’elle soit nationale ou européenne, affine en permanence ces règles et la manière de traiter les dossiers.
La CNIL intervient, elle aussi, pour garantir que les données utiles à la démonstration d’une présomption de discrimination soient accessibles. Tout est mis en œuvre pour rétablir l’égalité de traitement et permettre à chacun d’obtenir réparation s’il a subi un préjudice.
La discrimination, loin d’être un concept abstrait, façonne encore la trajectoire de nombreux salariés. Lutter contre elle, c’est défendre un droit fondamental : celui d’être jugé sur son travail, jamais sur ce qu’on est. Jusqu’où irons-nous pour que ce principe devienne réalité partout, pour tous ?


